COMMENT EXAMINER LA VUE ET LES YEUX,
D’UN NOUVEAU-NE ET D’UN NOURRISSON
Professeur J.L DUFIER
L’enfant, qui n’est pas un adulte en miniature, développe sa vision jusqu’à l’âge de six ans lorsque l’oeil et les voies visuelles pourront être considérés comme « achevés ».
Durant toute cette période, un incident intercurrent peut venir contrarier ce développement harmonieux et génétiquement programmé que des mesures appropriées sont susceptibles de restaurer. On pense bien sûr à la rééducation de l’amblyopie, qui ne serait plus guère efficace après l’âge de six ans.
Quelques signes d’appel très simples ne manqueront pas d’attirer l’attention des parents souvent trop ou insuffisamment alarmés de l’état visuel de leur enfant.
Dans les pays développés très schématiquement, 10 % des enfants souffrent d’un trouble de la vue facilement corrigible par des lunettes ou des lentilles de contact. Seulement 1 % relèvent d’une prise en charge ophtalmologique médicale ou chirurgicale et moins de 1 pour 1000 sont atteints d’une déficience visuelle profonde voire d’une cécité le plus souvent d’origine génétique.
Chez le nouveau-né à terme, toutes les composantes du système visuel sont en place et n’attendent que la stimulation visuelle pour voir se développer la fonction sensorielle grâce à l’établissement progressif de connexions neuronales depuis le photorécepteur rétinien jusqu’au cortex visuel occipital.
Les réticences à exposer de très jeunes enfants à une expérience visuelle artificielle par les images 3D ne sont donc peut être pas totalement infondées. Mais le véritable risque ne serait-il pas moins dans la technologie elle-même que dans le contenu qu’elle véhiculera, le meilleur ou le pire, comme la langue d’Esope. Quoiqu’il en soit, dès les premières semaines, le nourrisson bien éveillé et confortablement installé gratifie ses parents d’un large sourire-réponse. En le fixant à trente centimètres, ils peuvent capter son regard et même obtenir une poursuite oculaire comme des « regards aimantés » selon l’heureuse expression de Ajuriaguerra .
Une indifférence à l’entourage qui perdure, des mouvements oculaires anormaux, erratiques ou saccadés, une déviation permanente d’un oeil, un bébé trop calme qui, de ses doigts ou de ses poings appuie énergiquement sur ses paupières, une véritable phobie de la lumière ambiante ne manqueront pas d’alerter les parents et de les conduire à consulter leur ophtalmo-pédiatre.
Son examen clinique pourra, selon les cas, suffire au diagnostic et à la prescription d’un traitement ou, au contraire, justifier des examens complémentaires éventuellement sous anesthésie générale dans les cas difficiles.
Le strabisme impose un examen ophtalmologique et un bilan orthoptique quel que soit l’âge auquel il est observé. Il est en effet une maladie souvent familiale mais peut aussi être le signe d’une affection oculaire sous jacente et méconnue.
Son pronostic sera d’autant meilleur que la prise en charge aura été plus précoce en particulier lorsque la déviation affecte toujours le même oeil, laissant fortement suspecter une amblyopie. Trois conditions doivent être réunies pour obtenir en règle la guérison avant l’âge de six ans : une correction optique exacte, une rééducation bien suivie et la coopération active de l’enfant et de ses parents.
Si nécessaire, une chirurgie sur les muscles oculaires viendra corriger le préjudice esthétique résiduel et mettre l’enfant à l’abri des moqueries de ses camarades.
L’évaluation de l’acuité visuelle peut être tentée dès l’âge de six mois grâce aux cartons de Teller (bébé vision), mais sa mesure précise n’est effective que vers l’âge de trois ans. Elle est systématiquement pratiquée lors des contrôles scolaires et doit être plus particulièrement attentive chez l’enfant qui cligne ou plisse les yeux, regarde trop près ses cahiers, la télévision ou l’écran d’ordinateur.
Toute difficulté d’apprentissage à la lecture et à l’écriture et d’une manière générale tout fléchissement scolaire doivent amener les parents à s’interroger : voit-il bien, entend-t-il bien ?
Pour sa part, l’ophtalmologiste mesurera la valeur optique des yeux après leur mise au repos par l’instillation d’un collyre, de préférence à l’atropine pendant quelques jours.
Dans ce cas, on pourra profiter d’une période de vacances afin de ne pas perturber la scolarité de l’enfant qui sera gêné dans sa vision de près.
Il pourra ainsi corriger une myopie, un astigmatisme, une hypermétropie, bien souvent déjà connu familialement. Les parents privilégieront les lunettes à pont bas à cause de la courte ensellure nasale chez l’enfant, et à optique ronde -l’oeil n’est pas rectangulaire ! – qui éviteront à l’enfant de regarder par-dessus ses lunettes, surtout si il est pris en charge pour une rééducation de l’amblyopie.
Ainsi équipé, suivi, rééduqué, l’enfant sera dans les meilleures conditions pour affronter un environnement, qui, toute sa vie, sollicitera sa vision. La recherche d’une amblyopie fonctionnelle associée est fondamentale. Près de la moitié des strabiques sont porteurs d’une amblyopie unilatérale que l’on a de bonnes chances de récupérer pour peu que le traitement soit conduit suffisamment tôt, c’est-à-dire avant l’âge de quatre à cinq ans. Cinq arguments plaident en faveur d’une amblyopie unilatérale qualifiée de fonctionnelle puisque sans lésions cliniquement décelables. – Le strabisme monoculaire est le meilleur signe : lorsque l’oeil dévié est constamment le même, lorsqu’on n’observe pas de fixation alternée spontanément ou au test à l’écran, il y a tout lieu de penser à une amblyopie. – Le test du pansement est facilement réalisé au cabinet du praticien : l’occlusion manuelle ou par un pansement adhésif de l’oeil dévié n’entraîne guère de perturbations. Celle de l’oeil fixateur désoriente totalement l’enfant qui ne sait pas se servir de son oeil amblyope ; on le voit très rapidement gesti-culer et arracher le pansement. – La moins bonne qualité de la lueur pupillaire, le réflexe photomoteur moins vif du côté amblyope (singe de Bruchner) et surtout l’étude de la fixation sont de bons signes d’examen mais ils requièrent l’utilisation d’un ophtalmoscope, voire d’un visuscope. – Reste la mesure de l’acuité visuelle, puisque, par définition, l’amblyopie est, une différence d’acuité d’au moins 4/10e entre les deux yeux, non améliorable par une correction optique. Cette acuité ne peut guère être quantifiée avant l’âge de trois ans. Toutes les méthodes de mesure reposent sur la technique d’appariement également en usage chez les illettrés : l’enfant désigne devant lui le test correspondant à celui qui lui est projeté sur l’écran. Les tests peuvent être figuratifs (images de Rossano) ou directionnels (E. de Snellen).
– L’amblyopie étant affirmée, la conduite à tenir est très simple. Il convient d’abord d’effectuer une réfraction sous cycloplégie afin de connaître la valeur optique exacte des yeux en vue d’un éventuel équipement en verres correcteurs. Puis, il faut entreprendre une occlusion du bon oeil par un pan-sement adhésif et occlusif, totale, permanente (jour et nuit) et surveillée de façon d’autant plus rapprochée que l’enfant est plus jeune, afin d’éviter les bascules d’amblyopie. Les parents, dont la coopération est indispensable, sont instruits des conditions et de la durée de l’occlusion, en moyenne de trois à six semaines. Une fois l’amblyopie récupérée, il faut conserver l’acquis par un certain nombre d’artifices (pénalisa-tions optiques, secteurs, prismes) et amener l’enfant à l’intervention, si elle s’avère nécessaire sur le plan esthétique, vers l’âge de cinq ans, avant son entrée à l’école primaire. En résumé, une fois affirmé le strabisme par la manoeuvre d’occlusion alternée, il faut effectuer un examen ophtalmologique pour éliminer un strabisme symptomatique et rechercher une amblyopie associée.
RESUME
L’enfant, qui n’est pas un adulte en miniature, développe sa vision jusqu’à l’âge de six ans lorsque l’oeil et les voies visuelles pourront être considérés comme « achevés ».
Durant toute cette période, un incident intercurrent peut venir contrarier ce développement harmonieux et génétiquement programmé que des mesures appropriées sont susceptibles de restaurer. On pense bien sûr à la rééducation de l’amblyopie, qui ne serait plus guère efficace après l’âge de six ans.
MOTS CLES AMBLYOPIE
STRABISME
REFRACTION
QCM
L’amblyopie fonctionnelle : une proposition est fausse, laquelle ?
A – est retrouvée chez 50 % des enfants strabiques
B – nécessite un examen ophtalmologique sous cycloplégie atropinique
C – est traitée par l’occlusion du bon oeil sous surveillance de l’ophtalmologiste ou l’orthoptiste
D – est récupérable toute la vie
REPONSE : D